Vers une conversion missionnaire de l'œcuménisme?

Francis Denis

4 mars 2016
blog_1457123346 Photo: Courtoisie Catholic News Service
Il a deux semaines, alors que le pape François se rendait au Mexique pour une visite apostolique, une rencontre historique avait été organisée à Cuba avec le Patriarche orthodoxe russe Kyrill. Lors de cet entretien, les deux évêques chrétiens ont discuté à huis clos pendant plus d’une heure et ont signé une Déclaration commune que d’aucuns ont appelé programme de l’engagement prophétique des églises en ce début de XXIe siècle. En effet, ce document, en 30 points, fait à la fois, état des relations œcuméniques actuelles et des problèmes centraux de notre monde contemporain tout en ouvrant de nouvelles perspectives de solutions à ces deux niveaux.
Un regard tourné vers l’avant
Dans un premier temps, le lieu choisi pour la rencontre avait une valeur symbolique forte. Pour les deux chefs d’église chrétienne, le choix de Cuba soulignait symboliquement que les événements sombres qui entachent l’histoire et qui ont résulté dans le « scandale des divisions entre les chrétiens » ne doivent plus être l’objet principal de l’attention. En effet, « loin des vieilles querelles de l’« Ancien Monde », nous sentons avec une force particulière la nécessité d’un labeur commun des catholiques et des orthodoxes, appelés, avec douceur et respect, à rendre compte au monde de l’espérance qui est en nous (cf. 1 P 3, 15) » (no3). Lieu symbolique s’il en est un, Cuba ne fut pas d’abord choisi pour son caractère politiquement « neutre » mais parce que, même 524 ans après la découverte de Christophe Colomb, l’Amérique est encore le symbole d’un lieu de tous les possibles, d’un lieu où l’on peut croire en la sincérité de l’autre et reconstruire sur le socle solide d’une miséricorde réciproque.
Ce regard renouvelé doit donc permettre non pas de lire le passé dans le but d’alimenter les divisions mais plutôt dans le but de se rendre disponible au projet de Dieu sur nos deux églises. Suivant cette logique, ce nouvel élan devra donc davantage se concentrer sur le présent et, ce, dans le but d’aboutir à un meilleur futur. Ce nouveau regard n’est cependant pas des plus reluisants. Selon les deux chefs d’église, la « civilisation humaine est entrée dans un moment de changement d’époque. Notre conscience chrétienne et notre responsabilité pastorale ne nous permettent pas de rester inactifs face aux défis exigeant une réponse commune. » (no7). Ce tournant de civilisation, accéléré par une nouvelle proximité entre les peuples causée par des moyens de communications toujours
plus performants et une mobilité des populations s’accroissant sans cesse, ne peut plus tolérer une attitude de repli sur soi. On ne peut plus aujourd’hui se conforter dans nos apriori et nos préjugés réciproques. Un dialogue franc et sincère est donc l’unique option pour toutes les institutions, y compris les organisations religieuses. Cela, Kirill et François l’ont mis en pratique par cette rencontre. En ce sens, les deux chefs chrétiens ont donc, à la fois, donné l’exemple à tous ceux qui seraient tentés de se refermer sur eux-mêmes d’une possibilité de rapprochement de ce qui s’était éloigner depuis longtemps (dans ce cas on parle de presque mille ans !) mais ont également manifesté la force sous-jacente à toute réconciliation.
Un programme chargé
Comme je le disais plus tôt, notre monde a de nombreux défis qui nécessitent l’implication et la coopération de tous les acteurs civils et religieux. En effet, les bouleversements environnementaux, la lutte contre les structures de péchés, la pauvreté endémique, les persécutions visant majoritairement aujourd’hui les chrétiens ainsi que le terrorisme international ne sont pas des problèmes isolés. Ainsi, « En cette époque préoccupante est indispensable le dialogue interreligieux. » (no 13). De plus, «  Les communautés chrétiennes mènent une large activité caritative et sociale, apportant une aide diversifiée aux nécessiteux. Orthodoxes et catholiques œuvrent souvent côte à côte. Ils attestent des fondements spirituels communs de la convivance humaine, en témoignant des valeurs évangéliques » (no 14). Cette contribution des chrétiens dans le monde doit donc être mieux appréciée par tous, de ceux qui considère les chrétiens comme des ennemies comme les chrétiens eux-mêmes qui devront retrouver ou intensifier leur engagement social missionnaire.
Cette nouvelle coopération catholique-orthodoxe permettra aussi de manifester que ce travail d’éducation à la vertu est indispensable à toute société digne de ce nom. En ce sens, il est important souligner bon nombre de « limitations actuelles des droits des chrétiens, voire de leur discrimination, lorsque certaines forces politiques, guidées par l’idéologie d’un sécularisme si souvent agressif, s’efforcent de les pousser aux marges de la vie publique » (no 15).
Comme on le dit souvent « L’union fait la force » ! Les circonstances actuelles ne permettent plus que nous restions isolés les uns des autres. Tous les problèmes mentionnés dans cette Déclaration, signée par le Pape et le Patriarche, doivent nous convaincre de la centralité et de la nouvelle pertinence de l’œcuménisme aujourd’hui. Puisse cette rencontre historique être l’occasion d’un nouvel engagement commun entre catholiques et orthodoxes sur les nombreux chantiers spirituels et temporels qui s’imposent à nous en ce moment crucial de l’histoire humaine.